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jeudi 28 mars 2024

28 mars

La cantatrice entre dans la pièce, tenant dans ses mains l’imposante perruque de cheveux bruns. Elle s’installe près d’un imposant rhinocéros, qui montre des dents à son approche. Derrière eux, l’horloge sonne 17h. L’heure du crime, l’heure maudite où les grands s’éteignent mais où les écrits restent. La pièce est pauvrement meublée : une table et des cahiers griffonnés, quelques sièges, déjà occupés. Et un lit. Un grand lit où il repose, les yeux fermés, l’air serein.
La cantatrice soupire, sourit, laisse tomber sa chevelure sur la corne du rhinocéros. Celui-ci se lève, s’ébroue, avant de s’avancer vers l’homme allongé.
— Voyez comme vous nous avez fait. Voyez comme, contre toute attente, nous vous survivons. Etait-ce là votre volonté ?

L’horloge sonne 17h et soixante-deux minutes. Même les heures s’emmêlent les pinceaux. Ceux-ci peignent sur les murs les derniers éloges de celui qui fut l’un des maîtres du genre. La couleur coule un peu, mais le principal est dit. Un monologue sans queue ni tête raconté par une femme sans cheveux, à côté d’un rhinocéros portant une perruque près du corps sans vie du maître de l’absurde. Allez-y, jeter un œil, il y a là de quoi faire sortir les yeux de la tête et basculer la raison. Si tant est que celle-ci juge bon d’entrer en action dans cette pièce hors de toute convention.

Eugène Ionesco est mort le 28 mars 1994.


Le soleil se lève doucement sur la ville, mais celle-ci dort encore. Les rues sont désertes, les commerces fermés. L’agitation d’usage n’est plus qu’un souvenir lointain. Déserte, la ville est vide et pourtant n’a pas été abandonnée. En haut, sur leur nuage, les deux compères se disputent.
— Je te l’avais dit ! C’est une mauvaise idée, soupire l’homme en vert, tenant tête à son ours d’ami.

— Mais non. Un peu de repos ne leur fera pas de mal, grogne l’autre, en haussant les épaules. Nous n’avons qu’à dire qu’aujourd’hui est une journée consacrée au sommeil. Ça leur fera du bien de se poser un peu dans ce monde où tout va trop vite.

— Certes, mais on ne peut pas les forcer à dormir !

— C’est déjà fait, de toute façon.

Le marchand de sable soupire en contemplant à nouveau la ville endormie malgré l’heure tardive. Après tout, Nounours avait raison : ce qui était fait l’était et pas moyen de revenir en arrière.
Pestant contre la maladresse de son ami qui avait renversé son sac de sable magique sur la ville, le marchand manœuvra leur nuage pour l’emmener vers d’autres cieux.

— Pom pom pom… commença l’ours, redevenu joyeux.

28 mars, Journée mondiale du sommeil

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