La place du petit village français grouillait de monde. Le crieur dut jouer des coudes pour atteindre les quelques marches en pierre creusée où il avait l’habitude de se jucher pour déclamer les décrets officiels. Il frissonna en sentant le vent s’engouffrer sous sa pèlerine, tapa des pieds et se frotta les mains pour se réchauffer. Devant la multitude des visages tendus vers lui, il s’éclaircit la gorge.
— Oyez, oyez braves gens ! En ce glacial jour d’hiver, notre bon roi François Ier veille à notre sécurité. En effet, devant la multiplication des accidents causés par les ouvrages mal dressés, agressifs et incontrôlables, il a été décrété ce jour que la reproduction de livres sauvages est désormais illégale. Tous les éleveurs-bouquinistes… Silence, SILENCE vous dis-je ! Bien. Tous les éleveurs-bouquinistes sont donc conviés à remettre leurs reproducteurs aux soldats libraires.
Il se tourna pour désigner deux hommes en armure, appuyés sur une immense cage mobile aux roues cerclées de fer, tractée par six robustes percherons.
— À compter de demain, tout homme, ou femme, surpris en compagnie d’un livre sauvage sera immédiatement conduit en prison. Merci de votre attention.
Le crieur sauta à bas de son perchoir et quitta les lieux rapidement, peu désireux de se confronter à la foule en colère. Un léger bruissement lui fit lever les yeux, et il aperçut un petit manuel à la rude couverture de cuir voleter d’un arbre à un autre, ses pages en vélin claquant au vent. Ce spectacle lui manquerait.
Foutue journée.
Le 13 janvier 1535, François Ier fait interdire toute impression de livres. Il annule sa décision quelques jours plus tard, mais conserve le principe de la censure qu’il confie à une commission du parlement de Paris.