La neige étouffait les bruits ce matin-là, elle était tombée, épaisse, sur la petite ville de Guilford. Le matin était blême, le ciel blanc et ce fut sans bruit que les chevaux ouvrirent la route du cortège funèbre. Noirs comme la nuit, tirant un chariot tout aussi sombre qu’eux, ils avançaient d’un pas lourd, comme s’ils portaient le poids du monde sur leur dos. Une famille les suivait, la sœur, son mari, quelques-uns des proches, et des collègues, des professeurs d’Oxford qui étaient venus par le train. Tous accompagnaient dans le plus grand silence ce cercueil étroit. Un mauvais rhume, et la chasse avait pris fin pour Charles. Le triste cortège atteignit le cimetière et la cérémonie de l’inhumation débuta. Le trou avait été creusé la veille, à grand-peine car la terre était gelée. Aussi la première poignée fit-elle un bruit sourd quand la sœur du défunt la jeta sur le bois du cercueil. Il y eut comme un écho. La seconde poignée de terre fit aussi du bruit. L’écho sembla plus fort. Une jeune fille, un peu en retrait jusque-là, se rapprocha de la fosse. La troisième poignée de terre fut jetée et la petite demoiselle vit distinctement le couvercle du cercueil trembler. Elle se pencha un peu : quand la quatrième poignée tomba, les poignées de métal tressautèrent, il y eut comme un mouvement. Allongeant le cou pour mieux voir, la jeune fille était à présent au bord du trou. Soudain un effroyable craquement se fit entendre, et elle faillit tomber à la renverse quand il jaillit. Une forme blanche sauta hors du cercueil, bondit hors du trou et s’échappa en hurlant :
« En retard ! En retard ! » Mademoiselle Alice se précipita à sa suite et jamais on ne la revit.
14 janvier 1898 : mort de Charles Dodgson, alias Lewis Caroll