Sœur Sandrine, de son vrai nom Cindy, était entrée dans les ordres à peine quelques mois plus tôt, poussée par une mère dévote. Cindy n’avait pas vraiment la vocation, mais elle était docile et avait pris le voile sans rechigner. Son seul regret avait été d’abandonner son prénom, qui la faisait rêver, plus jeune, à un destin d’étoile hollywoodienne. « Sandrine, ça fait plus sérieux. Et plus français. »
Après qu’elle eût appris à chanter un nombre impressionnant de cantiques, recluse dans la solitude de sa cellule, on lui trouva une occupation ; on l’envoya à la bibliothèque. Jamais elle ne fut aussi bien rangée, propre et brillante que les premières semaines, faisant le bonheur des sœurs, peu enclines à manier le plumeau. Longtemps, sœur Marie-Anne y avait collectionné les bibles et bréviaires du monde entier, ce qui permettait à tout un chacune de lire les saintes paroles en ourdou, en bambara ou en quechua selon l’humeur. Mais, très vite, la poussière revint, le désordre s’installa de nouveau et la mère supérieure s’inquiéta. Après quelques heures d’espionnage, le problème lui apparut dans toute son horreur : sœur Sandrine lisait ! Or, chacun le sait, les femmes qui lisent sont dangereuses. Au grand dam de mère Sophie, qui en fit la découverte, sœur Marie-Anne lui avait caché sa passion coupable pour les romans vampiriques et c’est avec consternation qu’une caisse complète d’ouvrages peu recommandables fut découverte. Sœur Sandrine achevait justement une série palpitante quand mère Sophie arracha de ses mains le dernier tome.
« La reine des damnés ! Ma pauvre petite ! Mais qu’avez-vous fait ? L’enfer vous guette, sœur Sandrine, l’enfer vous guette ! »