Dans une chambre d’un immeuble anonyme de Brooklyn, au 30e étage, un vieil homme se meurt. Allongé dans un lit aux pieds éléphantesques, il semble s’enfoncer dans les draps comme dans des sables mouvants. Ses yeux mobiles semblent chercher quelque chose qui n’est pas là, parcourant sans cesse l’espace vide devant lui.
Il se sent soudain tomber. Est-ce déjà le moment ? se demande-t-il avec angoisse. Non, c’est le lit qui s’élève. Ses pieds croissent, soulevant le sommier. Puis, non contents de grandir, ils se mettent à bouger, comme quatre longues pattes de girafe. Le lit, qui semble avoir sa vie propre, entreprend de franchir la fenêtre. Le petit vieux pense mourir bientôt de peur à la perspective de la chute. Mais le lit a plus d’un tour de magie dans son bois, et ses pattes s’agrandissent démesurément jusqu’à la rue où ils sèment une belle pagaille. Une fois complètement dehors, le sommier continue de s’élever, emportant son passager estomaqué dans les nuages.
Émergeant au-dessus de la mer cotonneuse, sous un ciel d’un bleu profond, le vieillard cligne des yeux, à la fois ébloui et éberlué.
— Tout cela devrait pourtant t’être familier, non ?
Il tourne la tête en direction de la voix. Elle provient d’un personnage étrange, sorte de dandy gangster mal rasé et fumant un énorme cigare, assis à ses pieds, les jambes dans le vide.
— Flip ? balbutie le vieil homme.
— Il a raison, papa. Tu le savais pourtant, que tout était vrai.
Cette fois, c’est un petit garçon brun, engoncé dans un étrange pyjama bouffant, qui est niché dans le lit, juste à côté de lui.
— Nemo ? Vous existez vraiment ?
— Bien sûr, s’exclame Flip hilare. Que tu en doutes est vexant.
— Allez, en route pour Slumberland, rigole Nemo de sa voix cristalline. Le roi Morpheus nous attend !
Dans une chambre d’un immeuble anonyme de Brooklyn, au 30e étage, un vieil homme est parti.
26 juillet 1934 : décès de Winsor McCay, dessinateur américain.