Juan Manuel de Rosas, gouverneur de la province de Buenos Aires, se pencha sur Torkina, l’ingénieur nain en chef. Celui-ci, aidé par une dizaine de ses confrères, achevait de sceller dans la roche la dernière des trois lourdes chaînes en adamantium que les humains leur avaient commandées.
— Avec ça, le fleuve est infranchissable, déclara Torkina sur un ton sentencieux.
La chaîne, ainsi que ses deux sœurs jumelles, s’élançait par-dessus les eaux tumultueuses du Parana, en plein cœur du virage dit de Vuelta Obligado. Confiants en leur supériorité, et bien qu’ils aient déjà repéré l’obstacle leur barrant le passage, les onze navires de guerre de la flotte d’invasion franco-anglaise remontaient le fleuve, toutes voiles dehors.
Le général argentin Mansilia tira un coup sec sur la chaîne. Celle-ci n’eut pas l’ombre d’un frémissement.
— C’est de l’acier nain, vous pourriez utiliser cent chevaux que ces maillons ne bougeraient pas d’un poil. Vos ennemis ne passeront pas, je vous dis.
— Mouais, admit Mansilia. On va quand même également utiliser des moyens conventionnels, si vous voulez mon avis.
Il s’éloigna et aboya une série d’ordres brefs. Les deux mille hommes sous son commandement achevèrent de se positionner le long des côtes du fleuve et pointèrent leurs canons en direction de la flotte alliée occidentale. Torkina haussa les épaules et s’engouffra dans le trou béant d’un boyau menant sous la terre. Celui-ci se résorba lorsque le dernier des nains eut disparu dans la pénombre, pour ne laisser qu’un simple carré herbeux à la surface.
La bataille pour le contrôle du fleuve Parana n’allait pas tarder à faire ses premières victimes…
20 novembre 1845 : bataille de la Vuelta de Obligado