La vie à la rédaction de la Microphéméride.
Ce 5 décembre, la salle de rédaction de la Microphéméride était bien silencieuse. Et pour cause ; pour fêter cette journée internationale du ninja, il fut décidé à l’unanimité que chaque rédacteur vienne en tenue de ninja. Poussant le mimétisme à son maximum, chacun s’efforça de se rendre invisible, à tel point que quiconque serait rentré à ce moment-là dans la pièce l’aurait cru vide.
Et il aurait eu raison. Il n’y avait en fait personne. Chacun des rédacteurs, se croyant plus malin que les autres, s’était dit
« Je sèche, et si on me dit quelque chose, je pourrais prétendre que j’étais là, mais si bien caché que personne ne m’a repéré. »
Si vous lisez d’autres micronouvelles pour ce jour, sachez qu’il s’agit d’une arnaque : ils les ont toutes écrites à l’avance.
Vincent Corlaix
Le 5 décembre 1793 à Paris :
« Citoyen Desmoulins, quelle idée prodigieuse tu as eue de proposer, dans le Vieux Cordelier, de célébrer la Révolution française par la prise de la Bastille par les ninjas… »
ZAP !
Le 5 décembre 1154 à Rome :
« Habemus papam ! Et il se nomme Adrien IV. Rendons gloire à Dieu et aux ninjas… »
ZAP !
Le 5 décembre 1797 à Paris :
« Citoyen Bonaparte, voici l’armée de ninjas qui te permettra d’aller envahir l’Angleterre. »
ZAP !
Le 5 décembre 1936 à Moscou :
« Camarades, le Politburo a voté à l’unanimité la nouvelle constitution qui remplace le 1er mai par le 5 décembre afin de rendre hommage au travail du ninja dans la lutte finale. »
ZAP !
Le 5 décembre 1360, palais de Jean-Le-Bon :
— Sire, les premiers francs vont pouvoir être produits. Mais j’insiste : vous devriez les faire frapper à votre effigie.
— Nous avons déjà discuté de cela. Je veux que ce soit un ninja qui apparaisse sur le premier franc…
ZAP !
Le 5 décembre 1989 à Londres :
« Moi, Margareth Thatcher, je vous remercie de m’avoir réélue à la tête du parti conservateur, ainsi que les ninjas pour leur soutien.
ZAP !
Le 5 décembre 1933 à Chicago :
« Alors que la prohibition cesse aujourd’hui, n’oublions pas de rendre un grand hommage à Eliot Ness et sa brigade de ninjas dans leur lutte contre le crime organisé. »
ZAP !
Le 5 décembre 1560 à Orléans :
— Charles IX, réveillez-vous.
— Pourquoi vous m’appelez comme ça ?
— Votre frère vient de trépasser. Vous êtes le nouveau roi.
— Le Roi est mort ? Vive le Roi et vive les ninjas.
ZAP !
— Dites, chef, je commence à en avoir assez. Mais ça rime à quoi, cette chasse temporelle ?
— On avait dit « pas d’uchronie cette année »…
Père désoeuvré
Le sergent Chouinpch connaissait bien les lubies du commandant Héklar, chef suprême de la flotte vénusienne. Cela faisait désormais un an qu’ils se trouvaient en orbite autour de la planète Terre en vue de l’annexer, un jour, peut-être… Pour autant, il ne put s’empêcher d’avoir un hoquet de stupéfaction lorsqu’une forme sombre, vêtue de noir, lui barra le passage en poussant un « Kiaiiiii » strident avant de le menacer de la pointe d’un sabre japonais.
— Commandant Héklar, c’est vous ! Vous m’avez fait peur. Rangez ce nunchaku, vous allez finir par vous blesser.
Le digne chef des armées s’agitait en effet en tous sens, sabrant l’air de coups maladroits et mal placés.
— C’est un Iaito, ignorant ! Un sabre d’entraînement, à la lame émoussée. Vous n’avez pas lu le mémo de la réunion du jour, sergent Chouinpch ?
Le Vénusien, gêné, ne sut quoi répondre. Il ne l’avait pas lu, en effet.
— Aujourd’hui, c’est la journée internationale des ninjas, sur Terre. J’ai décidé de mettre en place des groupes de formation à destination de nos troupes. Ainsi, l’an prochain, c’est déguisés en ninja que nous envahirons la Terre. Nous resterons inaperçus jusqu’à avoir infiltré toute la planète et là, tchaaaaac ! Nous passerons à l’attaque.
Joignant le geste à la parole, Héklar avait fendu l’air de son arme. Malgré son tranchant partiellement émoussé, celle-ci coupa net à travers une dizaine de câbles et toute l’aile ouest du vaisseau se retrouva dans le noir.
Chouinpch soupira, blasé. Ce n’était pas encore aujourd’hui qu’ils allaient envahir la Terre…
Pascal Bléval
Rodebert Museau se préparait depuis des années. À l’insu de sa môman, du caniche abricot de cette dernière et de son patron tyrannique, il s’était entraîné des nuits entières pour développer l’ingéniosité d’un espion de l’ombre. Plus rien d’autre ne comptait. Il négligeait son travail de manutentionnaire à l’usine de canards vibrants, ne partageait plus les plateaux-repas avec môman devant Drucker, et avait laissé ses amis virtuels de WOW en plan. Heureusement qu’il n’était pas doué avec les filles, il aurait aussi été obligé de s’expliquer avec sa copine. Quand il fut capable de se glisser hors de la maison familiale sans faire aboyer le caniche, il sut qu’il était prêt ! Il enfila alors sa tenue moulante noire, glissa des shurikens à sa ceinture, passa son katana en bandoulière et bondit par la fenêtre, super-héros masqué prêt au combat. Le Crime allait payer pour ses… heu… crimes ?
En chemin, il rencontra un nombre conséquent de patibulaires, encastrés dans les murs, découpés en rondelles, pendus aux lampadaires. Il surprit alors une ombre masquée en train de rosser un voyou :
— Halte, vigilante fasciste ! s’interposa le nouveau ninja. Ce criminel doit répondre de ses actes devant la justice.
— Rodebert Museau ?
Le vigilante leva sa cagoule. C’était son patron de l’usine à canards vibrants.
— Rodebert ? Que fais-tu dans la rue à cette heure avancée ?
— Môman ????
C’était bien sa mère qui sautait d’un mur, le caniche abricot masqué entre ses mains gantées.
— Quoi, chéri, tu ne savais pas ? C’est aujourd’hui la :
Journée internationale du ninja.
Et nous nous sommes tous entraînés pendant des années pour lui faire honneur.
Alors, Rodebert s’enfuit dans la nuit, tricotant déjà un plan de représailles en espérant qu’il n’y ait jamais de journée internationale du Super Vilain.
Nelly Chadour
« À la reprise économique ! » prononça fièrement Franklin Roosevelt, tout émoustillé, en trinquant au saké avec ses interlocuteurs vêtus de combinaisons moulantes noires.
5 décembre 1933 : une délégation ninja et les statistiques font perdre la tête à Roosevelt qui en oublie la Prohibition. Laquelle s’achève à cet instant.
Sandrine Scardigli