Sous les arcades du temple de Jupiter Stator, à Rome, dans l’ombre fraîche d’un début d’après-midi, le consul Cicéron commence ainsi son discourt :
« Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra? »
L’aréopage des consuls et autres dignitaires romains, assemblé là pour l’occasion, baille et cligne des yeux, symptôme d’un repas typiquement romain accompagné d’un petit vin d’Armorique, je vous dit que ça. Seul Lucius Catilina, resté debout au fond, reste bien éveillé, écoutant attentivement la rhétorique de son opposant.
C’est lorsque Cicéron aborde la deuxième partie de son discourt que les choses s’animent.
« O tempora, o mores… »
Soudain le hall du temple résonne de cris, de palabres animées, de vociférations. Certains s’emportent parce qu’ils considèrent que proposer des tempura aux morilles est une aberration, même pour un romain. D’autres ne comprennent pas pourquoi un politicien vient donner des conseils de musique, et d’abord pourquoi augmenter le tempo d’une musique saxonne ?
Mais celui qui prit réellement peur et s’enfuit du lieu en criant à l’assassin fut Catilina, ayant de son côté compris : « Au temps, on meurt »…
8 novembre -63 (av jc), Cicéron prononce sa première Catilinaire.
— oOo —
L’homme se relève, titubant. Il cligne des yeux un moment avant de se rendre compte qu’il porte un casque de moto. Il le retire et secoue la tête. Les idées sont encore confuses. L’air piquant de ce début de soirée de novembre le fait frémir. L’endroit est sombre, et pourtant il lui semble familier. Que fait-il ici ? Malgré qu’il se sente bien, ses souvenirs récents sont inaccessibles, bloqués. Il sait qui il est, il se rappelle qu’il faisait de la moto et qu’il se trouve sur une route de Provence. Il cherche des yeux son véhicule, mais la pénombre l’empêche de détailler ce qui l’environne.
— Bon, tu viens ? Je ne vais pas t’attendre toute la nuit !
L’homme pivote sur lui-même, surpris par la voix cristalline. À quelques pas de lui se tient une gamine. Malgré la lumière chiche, il peut voir que l’adolescente est blonde et a un regard très particulier. Il n’ose rien dire, se demandant ce qui se passe, ce qu’il doit faire. Avec une moue agacée, la jeune fille lève un bras et fait mine de dessiner dans le vide. Immédiatement, une faille aux contours ondulants s’ouvre et l’homme distingue à travers un paysage étranger, mais tout à fait connu de lui. Il se tourne vers l’adolescente.
— Camille, c’est toi ? Alors, tu existes hors de mes romans ?
— Tu devrais le savoir, c’est toi qui m’as créée. Bon, tu es prêt à faire un grand pas… de côté ? Salim a hâte de te rencontrer !
Lui souriant, il saisit la main qu’elle lui tend et la suit.
La fissure se referme. La pluie tombe, comme autant de larmes.
8 novembre 2009 : Pierre Bottero, romancier français, disparaît dans un accident de moto, à quelques kilomètres de chez moi. Parmi ses personnages, Camille, qui a le don de voyager entre différents mondes en faisant des « pas de côté ».