Les deux alchimistes se tenaient droits devant le collège d’experts qui finissait de lire le rapport qu’ils lui avaient remis. Le porte-parole de la vénérable Société d’Alchimie Industrielle de Londres ôta ses bésicles et plissa les yeux pour scruter les deux jeunes hommes.
« Ainsi, lança-t-il, grâce à votre découverte, vous prétendez assainir les égouts de Londres de manière naturelle et pour un coût modique ?

— Oui, monsieur, répondit timidement William Lockett, le moins mal à l’aise des deux.

— Mais la recette pour créer des golems est connue depuis de nombreuses années. Qu’ont les vôtres de différent ? demanda un autre vénérable vieillard.

— Deux choses, sir, lança à son tour Edward Ardern. D’abord l’argile dont ils sont fait est doublée d’une couche de composant gras extrêmement résistant, permettant de les protéger efficacement contre l’acidité du contenu des égouts. Ensuite leur taille et leur nombre : ils sont si minuscules qu’on peut à peine les voir à l’œil nu, mais utilisés en grand nombre ils sont redoutables. Un peu comme des microbes.

— D’ailleurs, renchérit William, le bocal devant vous en contient. Si vous permettez… »

Il s’approcha de la table où reposait une fiole emplie d’un liquide transparent. William y versa un verre de boue malodorante. La boue se répandit en volutes filandreuses, mais très vite un phénomène étrange agita le liquide qui se mit à bouillonner brièvement et, lorsque l’effervescence se fut calmée, l’eau avait retrouvé sa limpidité.
« Impressionnant. Mais si on ingère cette eau ?

— C’est inoffensif, répondit Edward. Ils ne s’attaquent qu’aux excréments. Au mieux ils seront renvoyés aux égouts. Au pire votre système digestif sera bien nettoyé. »

3 avril 1914 : deux chercheurs anglais Edouard Ardern et William Lockett présentent à la Société de chimie industrielle de Londres un compte rendu de leurs travaux intitulé Expériences sur l’oxydation des eaux d’égout sans intervention de filtres. Les résultats de ces recherches donnèrent naissance à la culture libre ou « Boues activées », procédé utilisé dans les stations d’épuration.