Le jour de la Sainte Marmelade, le docteur Faustroll (inventeur de la Pataphysique) célébrait son anniversaire, immanquablement depuis qu’il était né en 1898 à l’âge de 63 ans.
Ayant tous les jours le même âge, il fêtait tous les jours son anniversaire. Peut-on en déduire que l’on fête tous les jours la Sainte Marmelade ? La question est intéressante, mais la démonstration ne tiendrait pas dans l’espace qui m’est imparti.
Faustroll fêtait donc en ce jour son anniversaire et mettait sa cravate bleue, celle avec laquelle il se pendait pendant 2 quarts d’heure. Pas plus, car il devait encore consacrer du temps pour mettre au point la formule permettant de calculer la surface de Dieu.
Depuis, il se repose dans l’éthernité d’où il me dicte ce texte par télépathie.
(d’après Alfred Jarry)
Père Désœuvré
Les applaudissements du public tintaient encore à ses oreilles lorsque le comédien regagna sa loge, sourire aux lèvres. Toujours engoncé dans son inquiétant costume d’Inquisiteur, il se servit un cordial. On toqua à la porte.
— Sir, lui parvint une voix avec un fort accent britannique. J’aimerais beaucoup m’entretenir avec vous.
Le comédien soupira et alla ouvrir à l’importun. Un jeune Anglais aux yeux bleus pénétrants et aux pommettes saillantes entra aussitôt sans attendre l’invitation de l’acteur qui faillit s’étouffer d’indignation.
— Si c’est pour un autographe, dit-il sèchement, attendez donc dehors avec les autres spectateurs, j’aime toujours être seul après mes représentations.
— Comment faites-vous pour vous démaquiller sans miroir ? demanda l’intrus en regardant autour de lui.
Le comédien hoqueta de colère.
— Je n’aime pas vos façons, je vous trouve extrêmement grossier ! Sortez !
L’attention de l’Anglais se focalisa sur le verre de cordial, posé sur la coiffeuse. Il y trempa un doigt. L’acteur se raidit. Menace ! Menace ! hurla son instinct.
L’Anglais ne quittait pas l’autre des yeux tandis qu’il goûtait prudemment le liquide.
— Humm, de quelle gorge a été tirée ce… vin, remarqua l’inconnu avec une pointe d’espièglerie.
Les pupilles du comédien devinrent deux billes d’argent et ses lèvres se retroussèrent sur des incisives tranchantes. Il se jeta sur le visiteur en sifflant comme un cobra. Le jeune homme se contenta de tendre le bras : le mécanisme habilement dissimulé dans la manche de sa veste projeta un pieu qui se ficha dans le cœur de l’acteur. Le vampire s’écroula en poussant un cri déchirant et ne bougea plus. Après s’être assuré que la créature était bien morte, l’Anglais sortit par une porte dérobée. Une voiture l’attendait sur le trottoir.
— C’est fait, dit le jeune homme en montant à bord.
— Très bien, Herr Cushing, dit avec un fort accent néerlandais le très vieil homme qui avait attendu sur la banquette arrière.
19 février 1936, mise à mort de Max Schreck de la main d’un jeune chasseur de vampires qui se servit ensuite de son expérience pour camper Abraham Van Helsing dans plusieurs films de la Hammer.
Nelly Chadour
Sainte Marmelade avait commencé comme danseuse nue dans une station spatiale interlope de Cassiopée III. Le jour où un pilote Glumarzien lui explosa au visage, la couvrant d’une substance gluante orangée vaguement fluorescente dont elle ne parviendrait jamais à se défaire complètement fut pour elle une illumination : dès lors, elle devint animatrice de soirées Quarte à la crème. Sa renommée dépassa les limites de l’Univers connu, et quand la divinité fut à son tour enquartée, Marmelade fut canonisée sur le champ, sous le nom de Sainte Marmelade, même si personne ne l’appela jamais plus autrement que la Grosse Bertha.
Pierre Gévart
Le 23 février 2064, le Docteur Susan Calvin met un point final à son œuvre : Une vie au service des Robots. Elle y relate les différents humanoïdes qu’elle a traités dans sa carrière de robopsychologue et les réponses qu’elle a apportées aux conflits que pouvaient générer les Trois Lois de la Robotique. Lorsqu’elle crut rendre son dernier souffle, elle se mit en réalité en veille prolongée, ayant accompli sans connaître sa véritable nature le seul ordre que lui avait donné son concepteur. Faire des robots des êtres infaillibles sur qui l’Humanité pourrait compter. Elle permit, des siècles plus tard, la naissance de R. Daneel Olivaw et par voie de conséquences l’expansion humaine dans la Galaxie.
Anthony Boulanger
Ahhh !… je me souviens comme si c’était hier de ma première fête suprême quarte de Sainte Marmelade (aspirée). La cérémonie s’est déroulée dans l’église de la sainte Gidouille du Hunyadi Émetteur à Lille. C’est le prorégent Michelet qui a dirigé l’office, en compagnie de trois satrapes. Son homélie a ponté sur la détonation gastrique et ses répercussions cosmogoniques. À l’époque c’était un sujet brûlant. On s’interrogeait sur l’incidence que pouvaient avoir les émanations de gaz ovin et porcin sur l’humeur du grand Ubu Céleste. La cérémonie s’est terminée avec le chœur dissonant aléatoire qui a chanté « Ô ma chandelle verte » puis la prière trinitaire au grand Ubu, à l’esprit de Faustrolle et au petit Jarry. Et puis nous avons fait la traditionnelle bataille de marmelade consacrée. On rigolait bien, à l’époque.
Vincent Corlaix
« Un déclic, le son de la bande qui commence à tourner, puis la voix de Thom s’élève dans la pièce :
— « Fête Suprême Quarte de Sainte Marmelade », lut-il péniblement. Markus, mais c’est quoi ce délire ?
— Ce n’est pas un délire, c’est une fête que j’ai imaginée pour aller avec l’invention du siècle.
— Laquelle ?
— Je parle de l’invention phare de la fin du XIXe siècle. Autrement dit, de la ‘Pataphysique.
— La « quoi » ? s’exclama Thom, manifestement incrédule.
— La science des exceptions. Tu verras, demain tu seras un expert en la matière, je te le garantis. »
À ce stade, Markus Jarry arrête l’enregistreur. Puis, il relève la tête pour fixer Thom du regard :
— Tu as reconnu ta voix, non ?
— Oui, j’avoue, c’est bluffant. Et je n’ai aucun souvenir de cette conversation.
— Tu me crois, maintenant, quand je te dis que les voyages dans le temps peuvent modifier notre vie ? Hier encore, tu me soutenais mordicus que toute tentative d’influencer un évènement du passé ne pouvait que créer un nouvel espace-temps parallèle, sans du coup changer notre propre présent. Alors ?
— Bon, ok, tu m’as eu. Bien sûr, j’ai déjà entendu parler de cette science et je sais que Boris Vian a été satrape du collège de Pataphysique. Mais tu avais vraiment besoin de trouver des noms pareils ? « L’ordre de la grande gidouille »… Sérieusement, c’est quoi ton problème ?
— Tout le monde a droit à son petit délire, non ? rétorque Markus, vexé comme un pou.
Le 19 février 2150, pour gagner un pari, un voyageur du futur décide de créer la Science de la Pataphysique. Il en suggère l’idée à Alfred Jarry, un lointain ancêtre et glorieux inconnu jusqu’alors.
Pascal Bléval
Rares sont les scientifiques ayant connaissance de la véritable expérience de Schrödinger : à l’origine de la pataphysique quantique, celle-ci consista à badigeonner de marmelade le dos d’un chat et à le jeter du haut d’un immeuble afin de s’assurer s’il retomberait comme un félin qu’il était – sur ses pattes – ou comme une tartine – du côté de la marmelade.
Aucun des savants présents ne put interpréter le résultat : on ne s’accorda jamais sur la réalité qu’il convenait d’analyser, et le chat restera à la fois vivant sur ses pattes et mort tartiné.
Sandrine Scardigli
[…] Peter Cushing, Pataphysique et marmelade, ce sont les micronouvelles du jour : http://t.co/QcF82UezXW […]