Assis sur une chaise au dossier branlant, Sumak hoche la tête en clignant des paupières. Sa main droite repose sur le front d’Anya Gourchenka, jeune femme de 21 ans rencontrée quelques heures plus tôt dans un bar moscovite. Elle est assoupie et sa respiration est régulière.
Une image se forme enfin dans l’esprit de Sumak : un corps allongé et grisâtre, surmonté d’une tête plate mangée de deux yeux noirs, sans pupilles, lui fait face.
— C’est un plaisir de te revoir, Sumak, dit l’apparition. Nous commencions à craindre pour ta santé.
— Bonjour à toi, Tinamuk. Il m’a fallu prendre ma « retraite » pour bénéficier du calme propice à l’accomplissement de l’étape suivante de ma mission.
— Il se trouve que ton appel tombe à point nommé : un volontaire s’est désigné il y a tout juste un klik.
— Qu’il procède. Le réceptacle est à côté de moi et prêt à l’emploi.
— Parfait.
Quelques instants plus tard, Anya – devenue Gemuk, représentante vénusienne – se redresse en tremblant et ouvre des yeux ronds et hagards.
— Tu t’habitueras vite à ce nouveau corps, la rassura Sumak.
— Que suggères-tu comme méthode d’invasion ? répondit celle-ci.
— Je reconnais ton caractère direct. Le système bancaire des humains est leur faiblesse la plus apparente. Une succession de crises financières me paraît la voie idéale. Inutile d’armer les traditionnels groupes séditieux pour que les humains s’entre-déchirent : ils ont ça dans le sang.
— Pourquoi ne pas utiliser les deux méthodes en même temps ?
— Ahah, tu aimes toujours autant la démesure, Gemuk ! Mais pourquoi pas, en effet …
Le 20 mars 1995, le corps du cosmonaute Valeri Poliakov retourne sur Terre après 437 jours dans l’espace. Son esprit, lui, est resté en orbite…