— D’accord, tu bosses dans un truc bourrés d’ordinateurs et de consoles, ce qui fait de toi un pur geek.
— Grrr !…
— D’accord, c’est osé mais t’as le courage de venir défiler avec nous quasiment à poil avec juste ta serviette autours des reins.
— Grrrrrrr !…
— Mais franchement, mon pauvre, ton costume de Klingon est carrément naze…
— GRRRRAAAH ! Je ne suis pas déguiséééééh !
Vincent Corlaix
Ils progressaient maintenant à découvert, mais dans ce champ dégagé, un dragon-chat glissant dans le ciel aurait vite été repéré. Quant aux nymphes, elles évoluaient surtout dans les montagnes et la touffeur des forêts, évitant les villes et les terrains modifiés par l’homme. Les soldats français évoluaient à la queue leu leu et Robert leur trouva fière allure avec leurs visages burinés, bien qu’épuisés. Le photographe qui les suivait depuis des semaines jugea le moment propice pour les immortaliser. Il recula et sortit du sentier pour avoir un bon angle de prise de vue.
— Hé ! Ne quittez pas le…, commença un lieutenant alarmé.
Trop tard. Un éclair gris, et l’air s’emplit de la senteur piquante de la poussière de silex. Le photographe avait posé le pied sur une mine érale construite dans les ateliers clandestins des nymphes-méduses. Il n’était désormais plus qu’une statue à l’appareil photo de pierre vissé à un œil de granit.
25 mai 1954, mort du photographe Robert Capa.
Nelly Chadour
— Ça ne m’inspire pas vraiment, cette journée.
— Pas de panique ! Il y en a bien d’autres qui auront des idées.
Père Désœuvré
Tous les 25 mai, les geeks du monde entier quittent leurs cavernes électroniques et, spécialement en Espagne, migrent vers les plages. Là-bas, ils étendent des milliers de serviettes qui disparaissent la nuit, quand les dauphins viennent célébrer leur propre journée du Messie.
Anthony Boulanger
— Tu as pensé à prendre ta serviette de bain ?
— Je trouve ça dégradant, commandant Hék…
— Stop ! Je suis Lucien Chenu et tu es Hervé Rembar. Pas Héklar, ni Chouinpch. C’est une mission d’infiltration, alors pas de gaffes !
Les deux militaires vénusiens avaient revêtu une tenue de camouflage polymère leur donnant l’apparence d’humains mâles ordinaires. Ils portaient tous deux une serviette-éponge sous le bras. Des centaines de Terriens les entouraient, tenant à bout de bras leur propre serviette. Sur beaucoup de ces dernières, on pouvait lire le chiffre « 42 ».
— Je me sentirais moins exposé si on avait utilisé des armures de stormtroopers, comme pour la Star Wars Day d’il y a deux ou trois semaines.
— Il y en a déjà des dizaines dans la foule. Pas assez original.
— Le costume de princesse Leïa que je porte est original, c’est sûr : je suis le seul humain mâle à se promener vêtu ainsi. D’un autre côté, tout le monde me regarde. Ça me gêne.
— Je pense qu’ils admirent mes bigleuses glass et les faux implants cyber sur mon bras droit.
— Google glass, pas « bigleuse ».
— Pardon ? Qu’as-tu murmuré, Chouinpch ?
Le sergent était dubitatif, mais ne répondit rien. Héklar reporta son attention sur la scène qui avait été installée, quelques mètres plus loin. Un soupir collectif parcourut la foule à cet instant.
— Ah, le représentant du GOS monte sur l’estrade.
Tous se mirent à genoux, serviette religieusement enroulée autour du cou. Le membre du GOS prit la parole, d’un ton solennel.
— Je vous remercie d’être venus si nombreux. Ensemble, prions en l’honneur de l’œuvre de Douglas Adams. Puisse son souvenir demeurer gravé en nos cœurs pour l’éternité.
Pascal Bléval
— Eh voilà ! Encore loupé ! s’époumona Zarkios. Combien de fois est-ce qu’on va devoir faire le tour de cette maudite planète avant de pouvoir atterrir ?!
— 42.
Levant ses six yeux au ciel, Zarkios soupira.
— Bon. Prends au moins ça.
D’une main, il fourra un tissu dégoulinant devant le visage bleu de Soikraz.
— C’est quoi, ça ?
— Une serviette.
— Pour quoi faire ? Elle est trempée ! marmonna son copilote.
— Pour ça, idiot ! pesta Zarkios en pointant le hublot.
Devant eux, le soleil approchait à toute vitesse, gigantesque fournaise prête à les engloutir.
Soikraz enroula la serviette autour de sa tête. Encore une utilité non négligeable.
— On aura le temps de dîner au Dernier Restaurant avant la Fin du Monde, au moins. C’est bien.
Zarkios soupira. À tous les coups, cet imbécile l’avait fait exprès.
— Encore combien d’années-lumière avant d’arriver ?
— 42.
Évidemment.
25 mai, 240 avant J.C. : Première mention du passage de la comète de Halley
au périhélie (point le plus proche du Soleil).
25 mai : Jour de la Serviette (« Le Guide du voyageur galactique »)
Céline Etcheberry
Bienvenue dans notre musée Great E-maginary E-Kultur. Au cours de votre visite de ses 42 salles, vous déambulerez dans les différents mondes traversés par nos autoroutes intergalactiques, comme Tatooine et le Mordor, et vous découvrirez les moyens de transport les plus célèbres, comme le Nautilus. Des guides touristiques et des dictionnaires de klingon vous seront distribués à l’entrée. En cas d’urgence, selon le mot d’ordre du grand guide galactique, pas de panique : des serviettes de bain individuelles sortiront du plafond. Bonne visite.
Sandrine Scardigli