Le petit cerf-volant tourbillonna, saisi dans les rets d’une bourrasque brutale et s’abattit sur les rochers. Les deux petits garçons se précipitèrent en poussant des cris navrés. L’armature était intacte, la queue ne s’était pas emmêlée. Mais la toile était déchirée en son centre. Un vieil homme encore robuste, dont l’écharpe rayée s’agitait en tous sens sous le vent, comme un serpent impatient, s’approcha des gamins consternés. Ils ne le connaissaient pas et, intimidés, le regardèrent s’agenouiller auprès de la dépouille de bambou et de tissus léger.
— Voyons ça.
Il tenait un carton à dessin sous son bras et en sortit une feuille de papier sur laquelle un beau marin à boucle d’oreille souriait d’un air énigmatique. Il boucha le trou avec le dessin, appliqua un peu de scotch et tendit l’objet réparé aux enfants.
— Il va voler encore plus loin.
Les deux gamins ne se firent pas prier pour envoyer le cerf-volant dans le ciel. Un souffle complice propulsa le jouet vers les nuages et le fil se brisa net. Stupéfaits, les petits virent le cerf-volant se changer en un aigle aux ailes déployés qui vogua sur les courants aériens. Quand ils se tournèrent vers le vieil homme pour comprendre ce prodige, ils ne découvrirent qu’une statue, celle du marin figurant sur le dessin.
Journée Mondiale du Vent et naissance d’Hugo Pratt.
Nelly Chadour
Monsieur Zemmour,
Nous avons appris avec consternation que vous n’aviez pas été convié à la journée de l’écrivain, il y a deux jours de cela.
Comprenant votre déception et afin de vous rendre l’hommage que mérite votre œuvre, vous êtes cordialement invité à notre journée mondiale du vent.
Nous espérons aussi que cette invitation donnera aussi naissance à une fructueuse collaboration commerciale.
Cordialement,
Le syndicat des vendeurs de vent.
Père Désœuvré
Aujourd’hui était la journée du vent. Pour cette planète immobile dans le cosmos. Sur cette planète dépourvue de toute trace de vie et de mouvements. Dans cette planète morte au cœur solidifié. Le vent allait descendre des tréfonds de l’espace et percuter de plein fouet le sol stérilisé par l’oxyde de fer. Il soufflerait le sable rouge, déplacerait les roches et sculpterait, le temps de son passage, des œuvres inédites que personne ne contemplerait si ce n’était lui.
Le vaisseau surgit des tréfonds de l’espace, ponctuel décade après décade et il ne laissait aucune traînée blanche dans cette atmosphère qui n’accueillait plus de molécules d’eau. Ses réacteurs dirigés vers la surface, il décélérait et le vent qu’il générait animait la planète morte. Les pèlerins qui venaient sur Terre arrivaient et repartaient dans une tempête écarlate à l’image de celle qui avait poussé leurs aïeux à fuir.
Anthony Boulanger
Hôpital Psychiatrique de Toulouse. 15 juin 2014. 9h.
Branle-bas de combat dans les étages. Tous s’attendent à la déferlante. Un service des urgences a été créé spécialement dans l’attente de cette date. Tout a été mis en œuvre pour que ce jour soit le moins dévastateur possible. Et pourtant, elle est attendue : le Big One du Sud Ouest de la France. La journée du vent !
Mais à Toulouse, le vent n’est pas ce qu’il semble être. Surnommé le « Vent qui rend fou », ça n’a jamais été plus vrai qu’en cette date fatidique. Beaucoup s’attendent à des épidémies de zombies pour la fin du monde ? Nous savons, nous, que ce sera le vent et ses caprices qui plongera l’esprit humain dans le désarroi. Alors, aujourd’hui encore, nous faisons face. Notre protocole de survie va être mis à rude épreuve.
La fin approche… Le Vent arrive…
Bénédicte Coudière
La vie à la rédaction de la Microphéméride
— Vincent ? hèle Anthony.
— Gnn… ?
— Tu sais, je me demande si tu ne devrais pas consulter un orthophoniste.
— Buuuh ?
— Bon, je sais que tu apprécies le saint patron associé à ton prénom, mais…
— Gnuuhuhuhu…
—… de là à confondre « vent » et « vin », et fêter ce jour en vidant sept bouteilles à toi tout seul, c’est pathologique.
— Bôôôôhhh…
— Fais gaffe, tu vas tomber…
Vincent Corlaix
Le vent :
Né des amours de la planète en mouvement et de la chaleur du Soleil,
Leçon de la nature qui nous rappelle l’importance de la mesure,
Qu’il soit
Caresse discrète sur la peau,
Souffle amusant dans les cheveux,
Tempête qui soulève le corps,
Tornade qui ravage…
Une seule et même source.
Celui contre lequel marche une Horde infatigable,
Celui qui porte dragons, griffons ou aigles géants,
Celui qui crée la ronde hypnotique des moulins
Celui qui emporte les rêves sur le dos des nuages,
Celui qui rend fou par sa cruauté glaciale,
Celui qui révèle les djinns dans les tourbillons de sable,
Leçon de la nature qui nous rappelle l’importance de la mesure,
Né des amours de la planète en mouvement et de la chaleur du Soleil,
Le vent.
Sandrine Scardigli
Le Sergent Chouinpch luttait contre le vent puissant qui balayait les couloirs du vaisseau mère vénusien. Il avançait courbé, accompagné dans ses efforts par le Lieutenant Zlyk. Celui-ci profita d’une brève accalmie pour se redresser et exprimer son mal-être.
— À quoi peut bien penser le commandant en nous soumettant à une telle torture ? Je ne me suis pas engagé dans l’armée pour me retrouver confronté à ce genre de climat délétère. Le vent assèche mes poumons !
— C’est la journée internationale du vent sur Terre, répondit Chouinpch. Le commandant veut que nous soyons capables de supporter ce genre d’adversité. Il estime que, sinon, nous ne mériterions pas d’envahir la Terre.
— Oui, et bien le commandant, il peut aller se…
Slyk n’acheva pas sa phrase. L’espace d’un instant, la gravité fut coupée dans tout le vaisseau. Aussitôt après, une nouvelle bourrasque envoya le malheureux Lieutenant rebondir de mur en mur dans le long couloir central du vaisseau mère. Chouinpch, qui commençait à être habitué aux facéties du Commandant Héklar, parvint à se cramponner à une porte.
Lorsque le vent retomba, il était seul. Il haussa les épaules et continua sa route en direction du réfectoire.
Tout ce vent lui avait ouvert l’appétit.
Dans son bureau, le commandant Héklar éteignit ses écrans de surveillance. Ce bavard de Slyk ne l’avait pas volé, songea-t-il avec un sourire tordu.
Pascal Bléval