La foule compacte, coupe de champagne à la main, trépigne face au rideau masquant la pièce maîtresse de la collection. Pour faire cesser le brouhaha, la galeriste fait tinter son verre puis entonne sa présentation :
« Je vous remercie sincèrement de votre présence à ce vernissage… »
Se tournant vers un homme barbu, reclus dans l’ombre d’un coin de la salle, elle poursuit :
« Vous connaissez tous le parcours de Dmitri, qui, plutôt que d’embrasser une muse et d’apporter de la beauté à la société, s’était orienté dans sa jeunesse sur la physique et la chimie. Tout le monde sait qu’il n’y a pas d’emploi dans ces domaines si éloignés des arts visuels ou littéraires ! »
Cette remarque entraîne rires et plaisanteries dans l’assistance.
« Heureusement, ses parents ont réussi à lui faire entendre raison en lui offrant son premier pinceau. De toile en toile, son style s’est affirmé, et notre galerie a aujourd’hui l’immense honneur de vous présenter sa dernière création.
C’est une grande fresque d’inspiration cubiste ; la superposition des blocs reflète la complexité et l’harmonie de la nature, le dégradé de teintes dans chaque colonne est lié à la régularité et la monotonie du monde. Vous verrez au niveau du sol les coloris or et platine, tandis que les sommets laissent apparaître des couleurs de soufre ou de carbone. Chaque horizon est la représentation d’une énigme, et je vous laisse décrypter le message de Dmitri qui affirme que les cases du haut « livrent bêtement bataille contre notre officier français Nestor »… L’artiste n’a pas nommé cette toile, il souhaite juste qu’on s’y réfère comme LE tableau de Dmitri. »
Le public en haleine fixe le cadre dévoilé peu à peu, tandis qu’un frisson de ravissement parcourt l’assemblée.

6 mars 1869 : présentation DU tableau de Dmitri Mendeleïev à la Société russe de Chimie. De nombreux moyens mnémotechniques plus ou moins crus existent pour la période 2 (Lithium Béryllium Bore Carbone Azote(N) Oxygène Fluor Néon)