À 400 mètres au-dessus du sol, il savourait sa position privilégiée. Un entre-temps au-dessus de celui des hommes qui s’agitaient au pied des deux tours, les sirènes discordantes des voitures de pompiers et de police relayant leurs éclats de voix. Un entre-espace en-dessous de la villégiature des dieux, des étoiles et de l’Univers.
Le funambule avait vite parcouru quelques pas sur le fil tendu entre les deux tours jumelles afin que personne ne s’avise de l’attraper par le col. Sa perche oscillait à peine, épousant d’en haut le quadrillage des rues de Manhattan. Cependant, il évitait de trop dévier son regard du point fixe qu’il lui avait assigné sur la tour d’en face. La concentration : la clé de la légèreté.
Une goutte de sueur glissa le long de sa joue droite. Il cligna de l’œil et vit une sombre masse se détacher au loin : un avion, si près du sol ? Il secoua la tête et rétablit son équilibre grâce au poids de sa perche. Les nuages au-dessus de New York prenaient parfois des formes menaçantes.
La moitié du fil se trouva bientôt derrière lui. Il ne cherchait pas à aller vite, juste à profiter de cet instant de suspension hors du monde. En bas, les cris et les klaxons se taisaient, les spectateurs suivaient sa progression à l’unisson. Pourtant, un atroce fracas de hurlements et de métal éventré crissa dans ses oreilles, là où il n’aurait dû entendre que le souffle du vent. Le mirage s’évanouit, mais encore une fois, l’acrobate dut faire appel à toute sa volonté pour ne pas tanguer sur son fil, ce mince fil grâce auquel il conquérait la métropole par l’Art. Y avait-il autre moyen d’attirer l’attention des gens que la Beauté ? Le funambule relie les choses vouées à être éloignées, c’est sa dimension mystique (sic).
Philippe Petit termina sa traversée dans la sérénité, puis serra les mains des agents qui l’attendaient au bout de son périple.
7 août 1974 : Philippe Petit, funambule, traverse l’espace séparant les deux tours jumelles du World Trade Center sur un fil.