Pour la Fête du Travail, les patrons hawaïens ont le droit d’enguirlander deux fois leurs employés dans la même journée.
Anthony Boulanger
La lune se levait au-dessus des arbres dont les feuilles encore fragiles se figeaient de froid. Derrière le fils du chef du village, le vieux druide semblait une ombre grise. Mais sa voix chuchotait, tout près à l’oreille de l’enfant, attestant de son existence tangible :
« Nous arrivons bientôt. »
Le garçon aurait préféré que cette marche dure toujours. Ses entrailles se nouaient car il savait ce qui l’attendait à l’ombre des arbres frissonnants. Mais ils débouchèrent sur une clairière. Là se dressait un grand dolmen baigné d’argent.
« C’est ici, reprit le vieux, c’est ici que se battent les esprits de l’hiver et ceux de l’été. Cette guerre sans merci fait rage depuis la nuit des temps, et de nos vies en dépend l’issue. Et cette nuit, la lumière doit de nouveau briller. Es-tu prêt au sacrifice ? »
Bien sûr que non, l’enfant n’était pas prêt, rien ne l’avait préparé à un tel déchirement. Mais son père lui avait bien certifié qu’il devait se délester à jamais de son bien le plus précieux. Les larmes brouillèrent sa vision alors qu’il sortait de son sac son nouvel i-phone qui avait fait baver d’envie tous ses copains au village.
« Rhaaa, grinça des dents le druide. Je comprends mieux pourquoi il n’y a plus de saison quand on voit combien les jeunes de maintenant préfèrent la technologie aux êtres vivants. »
Fête celtique de Beltaine où l’on passe de la saison sombre à la saison de lumière.
Nelly Chadour
« Vous n’êtes pas encore partis à votre fête ?
— Non, sire, je ne veux pas y aller !
— Quoi ? Mais si, vous allez y aller ! Vous allez retrouver vos collègues, faire des trucs de druides, et vous me cassez pas les pieds !
— Je veux pas y aller ! On passe la nuit à garder les feux allumés, ça arrête pas de boire, il y a même un concours de blagues et je suis nul à ça, c’est la honte… J’en ai marre d’être ridicule à chaque Beltaine !
— Eh bien, moi, j’en ai marre de l’hiver ! Vous allez vous bouger les miches, vous mettre au travail et célébrer le retour de la lumière et arrêter de me péter les roubignoles ! Et tant que vous y êtes, rapportez un bouquet de muguet à la reine, elle veut en planter dans les allées. »
(Petit hommage au Merlin et à l’Arthur de Kaamelott, à l’occasion du jour de Beltaine.)
Sandrine Scardigli
(À fredonner sur l’air de On n’est pas là pour se faire engueuler de Boris Vian)
Écoutez-moi, ouvrez bien vos oreilles, on avait condamné Philippe la veille
À terminer crucifié et buté, sous les coups de cailla-a-sses
On est arrivé sur place sans retard, et on s’est mis à le canarder dare-dare
Mais des braves gens, se prirent quelques pierres en geignant, alors j’ai dit
On n’est pas là pour s’faire enguirlander, on est là pour s’faire le crucifié
On n’est pas là pour se faire lapider, on est là pour s’faire le crucifié
Si tout me monde était resté chez soi, Rome n’aura plus qu’à fermer boutique.
Laissez-nous donc qu’on le canarde
Z’avez qu’à la planter la tête en bas
Et comme ça on vous esquint’ra pas
1er mai : c’est la saint Philippe, l’apôtre lapidé et crucifié la tête en bas.
Père désoeuvré
Akamu attendait, patiemment, que sa fille le rejoigne. Lorsqu’elle sortit de leur maison, il se sentit fier : la beauté de son aînée était presque insolente en ce jour de fête. Le collier de fleurs qu’elle portait autour de son cou lui faisait comme une robe aux couleurs infiniment variées.
— Kaili, ma fille, tu es un arc-en-ciel. Grâce à toi et à tes sœurs, l’île d’Hawaï restera loin du regard des fantômes pendant un siècle.
Kaili rougit et se laissa mener jusqu’à la plage. Là, d’innombrables jeunes filles étaient assemblées. Une par une, elles défirent leurs guirlandes et les attachèrent ensemble, en un large cercle. Au centre de celui-ci, une vieille femme psalmodiait. Son chant entra en vibration avec les fleurs, qui se mirent à briller puis à tournoyer en montant vers le ciel, pour se placer face au soleil. Un homme s’assit aux côtés de l’officiante et sa voix couvrit le son des tambours :
— Kāne Milohai ! Toi qui nous créas et nous donnas cette île pour jardin de vie, accepte notre don en ce jour des guirlandes.
Un grondement sonore lui répondit, qui fit trembler la terre. Aussitôt après, une bulle de lumière enveloppa l’île d’Hawaï. Autour des deux prêtres, les jeunes filles qui avaient apporté les guirlandes tombèrent en pâmoison. Certaines survivraient à la transe qui s’ensuivrait. Le peuple d’Hawaï, lui, continuerait d’échapper à la vigilance de ses ennemis en attendant la venue de l’unificateur, au nom prédestiné de Kamehameha.
Pascal Bléval