Les mains jointes et propres, les fidèles psalmodient : saint Ponce Pilate, priez pour nous.
Puis ils retournent boire une bière devant leur télé.
Sandrine Scardigli
— 3… 2… 1… partez !
Les deux mille hommes et femmes participant à l’opération « mains propres » ouvrirent le robinet qui leur avait été assigné et leur main droite se porta vers la bouteille de savon liquide. Une cohorte d’assistants était prête à fournir autant de pousse-mousse que nécessaire pour leur permettre de tenir dans la durée.
Les lavabos s’étiraient le long de la N10 entre Trappes et Coignières. Ils rutilaient sous les phares des voitures frôlant les ratons laveurs.
Ce nom avait été proposé par l’un des donateurs du projet kick-starter « Lavage de mains en public », au terme duquel près de dix millions d’euros avaient été levés. Cette appellation d’origine incontrôlable avait vite été adoptée par la majorité des participants.
En guise de clin d’œil, un lâcher de ces rongeurs sous crack avait d’ailleurs précédé le lancement de l’événement. Ça grouillait partout, et de temps à autre l’un d’eux disparaissait sous les roues d’une voiture ou d’un camion, pour la plus grande joie des spectateurs amateurs de sensations fortes et de viande chaude.
L’organisateur, acteur américain de soap, se frottait les mains. Les retombées publicitaires et le sponsoring de Procter & Gamble couvraient largement les frais. Bientôt, les paris seraient ouverts et le public voterait pour éliminer les concurrents, un à un.
Il était minuit pile, c’était parti pour vingt-quatre heures de lavage de mains non-stop.
Il ne devait en rester qu’un…
Pascal Bléval
En cette journée spéciale, rappelons une règle d’hygiène élémentaire à respecter : lavez-vous bien les mains avant de faire pipi. Sinon vous allez vous mettre pleins de microbes sur la zigounette.
Père désœuvré
Chope la gastroentérite,
Tu n’auras pas la frite.
Une infection nosocomiale ?
C’est l’inondation lacrymale.
Faut savonner, bien faire mousser,
Tous les microbes doivent y passer !
Laurie E.
Sorti épuisé de cette nième répétition du Roi Lear, Bill, marmonnant « Je hais les acteurs ! », a regagné son cagibi dans les tréfonds du « Globe », histoire de s’octroyer une sieste. Un bruit le tire de son sommeil.
Dans un incroyable costume de scène – une combinaison de… toile goudronnée (?) le couvre des pieds jusqu’au cou et sa tête est prise dans une bulle de verre –, un type fouille les papiers amoncelés sur la table.
« Eh, ducon ! C’est ma loge, ici !
— Je vois que vous êtes bien en train d’écrire Macbeth…
— Et alors ? Je ne fais pas encore passer d’audition ! Casse-toi ! »
Le gus ne bouge pas, ne se trouble pas.
« Mais votre personnage, là, Lady Macbeth. Si je peux me permettre… On ne sent pas assez son remords. Et si vous lui faisiez se laver les mains sans arrêt, pour ôter des tâches de sang imaginaires ? »
Bill, qui avait saisi un balai pour expulser l’intrus, interrompt son geste.
« Ah oui ? Dans quels passages ?… »
*
« Alors ?
— Mission réussie, docteur. On va sauver des milliers de vies ! Encore un bon point pour le Programme Transtemporel de Propagande Hygiéniste ! »
Timothée Rey
Après avoir mis du gazole dans mon 4×4, je me lave les mains.
Après avoir pulvérisé des pesticides dans mon jardin, je me lave les mains.
Après avoir jeté mes détritus par ma fenêtre, je me lave les mains.
Après avoir répandu mon sperme dans d’innombrables vagins, je me lave les mains.
Les conséquences sur la planète ? Je m’en lave les mains.
Ludovic Arfi
– Oh ! Toi là-bas ! Le tire-au-flanc ! Il lui reste de la crasse sous les ongles !
Un soupir bruyant s’échappe des lèvres du jeune lutin. Se retenant à grand peine de lever les yeux au ciel, il escalade la haute échelle de bambou qui mène aux mains jointes de l’idole. Le sourire hautain qu’affiche cette dernière lui donne envie de faire demi-tour, mais il n’a pas vraiment le choix, le Conseil l’a désigné cette année encore pour participer au Grand Lavage de Main des Divinités. Un coup d’œil par-dessus son épaule le décourage. Plus que neuf mille neuf cents quatre-vingt-dix-neuf paires de mains…
Tiphaine Levillain
« Et voici que les deux concurrents, occupant la tête de la course, font leur entrée sur le vélodrome de Roubaix. Parmi eux, on retrouve Tom Boonen, qui veut devenir le recordman des victoires de l’Enfer du Nord, mais également le Suisse Fabian Cancellera.
— Tout à fait, Thierry, on pensait que Cancellera ferait la différence dans la tranchée d’Arenberg mais Boonen s’est accroché, quand il a compris qu’il n’y aurait pas de finish au sprint.
— À votre avis, Laurent, qui va l’emport… et c’est une accélération de Cancellara. Boonen n’arrive pas prendre sa roue. Le Suisse semble se diriger vers une quatrième victoire, et un nouveau doublé Tour des Flandres – Paris-Roubaix.
— Oui, il semblerait que ça soit plié. On voit mal Boonen revenir. Et voilà, c’est fait. C’est un beau vainqueur, qui égale au passage… Boonen. Écoutons sa première réaction.
— Je suis content. Tom s’est bien accroché, mais il a laissé quelques mètres alors j’ai accéléré. C’est une bonne journée, même si on est tout plein de boue, encore cette année. »
Un officiel se présente, et prévient le vainqueur du protocole.
« Félicitations pour votre victoire. Cette année, on a un peu modifié les choses. On en a marre que le trophée soit sali par les coureurs. Vous n’imaginez pas combien il est difficile de retirer la boue séchée du pavé en bronze. Donc, Fabian, veuillez me suivre, on va vous… laver les mains ! »
15 octobre : journée mondiale du lavage de mains
15 octobre 1980 : naissance de Tom Boonen
Gédéon