— Paul, c’est l’heure. Nous allons être en retard.
— J’ai presque terminé.
La plume griffa le papier une dernière fois. D’un doigt, Paul étala une éclaboussure égarée.
Une main sur son épaule, Arthur parcourut les quelques vers familiers.
— Encore ce poème.
— J’aime à le recopier, parfois.
— Les gens vont finir par comprendre ce que nous sommes.
— Idiot. Plus personne ne croit aux sorciers…
« Nuit du Walpurgis classique » de Paul Verlaine (Poèmes saturniens,1866)
(30 Avril – Nuit de Walpurgis, la « Nuit des Sorcières »)
Céline Etcheberry
« À Göttingen, à Göttingen !…
— Chut ! Tais-toi ! »
Le faune prit un air faussement outragé devant la réprimande de sa divine compagne. Les deux montaient de concert le chemin abrupt qui menait au sommet de l’Hartz. Ils se rendaient chargés de leurs offrandes à l’autel de Walpurgis situé en son sommet.
Après quelques minutes de silence entrecoupé de respirations sonores dues à l’effort, le faune dit à sa compagne :
« Tu sais que je fais ça par tradition, n’est-ce pas ? Je n’y crois pas, à cette histoire d’invocation. Tous les ans, c’est pareil. On se tape la montée chargés comme des ânes, on se débarrasse de quelques babioles brillantes et de fruits presque trop mûrs pour redescendre chez nous pour nous inter-féconder, puisque c’est ce qu’on attend de nous. Mais toi, j’ai vraiment l’impression que tu y crois, à ces fariboles…
— Non mais vraiment, Phanès, tu es insupportable. Laisse-moi croire ce que je veux, voyons ! Je ne te demande même pas de m’accompagner !
— Je viens pour la balade.
— Tant mieux ! N’empêche, tu peux les dénigrer tant que tu veux, le jour où ils reviendront, le jour où les humains déferleront sur le monde, tu feras moins le malin, tout dieu de la fertilité que tu es.
— C’est bien pour cela que tu m’aimes, ma chère Callysto. »
Vincent Corlaix
— Baba Yaga, je trouve que tu y vas un peu fort. Une épidémie, une famine d’accord, mais les humains ne méritent tout de même pas ça.
—Rien ne me fera changer d’avis, Carabosse.
30 avril 1988, Céline Dion remporte à Dublin le concours Eurovision de la chanson à l’âge de 20 ans.
Père Désœuvré
Croyait-il, le petit chancelier, que c’était la nuit idéale pour disparaître ? Croyait-il, le ridicule moustachu, que tous allaient gober ce faux suicide ? Croyait-il, le capricieux tyran, que sacrifier la femme qui l’aimait et ses chiens préférés était une façon d’expier ? Avait-il oublié, le minable despote, que l’on célébrait Walpurgis ce soir ? Avait-il oublié, le risible meurtrier, ce que l’on disait de cette nuit terrible ? Avait-il oublié, l’infâme génocidaire, que les morts allaient vite, et surtout qu’ils n’oublient jamais ?
Cours à en cracher tes poumons, nous sommes derrière toi. Les rues de Berlin s’embrasent de la même flamme que notre colère. Tu ne reconnais pas nos visages, mais nous sommes tous morts au nom de ton odieuse idéologie. Nos longs bras tatoués de chiffres se tordent et se tendent vers toi. Tu hurles à notre vue. Tu cries pitié. Tu te relèves et cavales. Mais les morts vont vite. Et leur faim de vengeance est sans limite. Qu’elle est douce, la saveur de ta chair sous nos dents crissantes. Notre premier vrai repas depuis notre entrée dans les camps.
30 avril 1945, nuit de Walpurgis et vengeance des peuples exterminés.
Nelly Chadour
Le 30 avril 1006, en la Nuit de Walpurgis, fut observée sur Terre la supernova qui trouverait en cette année son nom. Les religieux eurent tôt fait de craindre les sorcières qui dans le ciel pouvaient allumer une étoile.
Anthony Boulanger
— Alors, cette année encore, tu vas le faire ? Tu n’en as pas marre de te faire exploiter ?
Interpellée par sa femme, le père Noël interrompt son geste et reste immobile quelques instants, la main sur la poignée de la porte.
— Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Depuis que l’église a foutu les divinités locales à la porte, il n’y a plus personne pour faire le job. Mais il faut bien que quelqu’un s’y colle, non ? Le printemps doit succéder à l’hiver, c’est comme ça que ça fonctionne.
— Et ça nous apporte quoi, à nous ? insiste la mère Noël. On vit au pôle Nord. Ici, c’est l’hiver toute l’année, de toute façon.
Le père Noël se gratte la barbe, incertain, avant de répondre :
— Écoute, ce n’est pas comme si j’avais le choix, en fait.
— Je ne suis pas d’accord. Les divinités au chômage, ça ne date pas d’hier. D’autres se sont chargés de faire partir l’hiver, avant. Pourquoi ne reprendraient-ils pas le flambeau, une fois de temps en temps ?
— J’en ai parlé à la petite souris et à la fée bleue avant-hier et ça a été « Niet ». Pareil pour le marchand de sable la semaine dernière. Même notre fille m’a dit d’aller me faire voir ailleurs. À ce propos, je crois qu’elle fréquente Jean-Balthazar.
— Le fils du père Fouettard ? s’étonne la mère Noël, incrédule. Je le lui avais pourtant interdit de le revoir ! Cela dit, n’essaye pas de changer de sujet, se reprend-elle.
Mais son mari a profité de sa distraction momentanée pour s’éclipser sans demander son reste, et c’est à une porte close qu’elle fait face.
— Foutue tête de lard ! s’exclame-t-elle avant de tourner les talons en soupirant.
Pascal Bléval
Voyant que le pouvoir du Panthéon s’effritait face au christianisme, Perséphone en profita pour fuguer et parcourut le royaume d’Hadès vers le nord du continent : elle espérait, en ces terres plus dures, échapper au cycle des saisons et donc à son encombrant mari.
Hélas, malheureux hasard ou force de l’habitude, elle eut la mauvaise idée de se tromper de sortie et de réapparaître sur la terre des humains à la fin de l’hiver, sur le domaine d’une famille anglo-saxonne aux prénoms en W, qui vit là l’occasion d’asseoir son pouvoir spirituel tout en ajoutant une possibilité de gagner au Scrabble (lequel serait inventé plus tard, mais ne chipotons pas).
C’est ainsi que Perséphone, non seulement se retrouva dans une mesnie de bigots et porte désormais le nom de Walburge2, mais resta en plus soumise à sa malédiction (car on n’échappe pas à son destin, les Grecs et Œdipe le savent bien).
Et c’est ainsi aussi que, au nord, l’on célèbre la nuit de Walpurgis, tandis que, au sud, les mystères d’Éleusis1 sont tombés dans l’oubli.
1. Les mystères d’Eleusis étaient consacrés à Déméter (déesse de la fertilité) et à sa fille Perséphone ; mariée à Hadès, celle-ci passe la moitié de l’année dans les Enfers (c’est l’hiver) et revient sur la terre des hommes l’autre moitié de l’année (c’est l’été).
2. Dieux déchus du Panthéon grec vaincus par le christianisme, et qui parcourent toujours notre terre… : petit clin d’oeil à l’univers de Jacques Fuentealba, Sunset Circus.
Sandrine Scardigli
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