Une micro nouvelle par jour pendant un an.

samedi 20 avril 2024

1er November – Toussaint

La vie à la rédaction de la Microphéméride.

Je débarque —en retard, cela va de soi— dans la salle de rédaction de la Microphéméride, pour découvrir un spectacle étonnant ; alors que tous mes collègues masculins sont sagement (tristement ?) penchés sur leurs besognes littéraires, les microphéméridiennes sont toutes en train de faire bruyamment la fête. Céline, Aurélie et Pénélope dansent sur les tables, Marie-Anne et Alizée font une partie de jenga sur la tête de Vincent Bastin, Bénédicte et Véronique pouffent comme des gamines en s’échangeant des murmures, et Nelly tient le bar où Sandrine et Silène font les piliers.
Estomaqué, je m’approche de la table réquisitionnée en zinc pour m’enquérir de ce qui est en train de se passer, et accessoirement mettre la main sur un verre. Devant mon air ahuri, Silène me lance en guise d’explication :
— C’est notre nouvelle journée de la femme, minus. C’est l’atout-seins !
— Maintenant, va bosser, ouste ! ajoute Sandrine en me faisant un geste grossier.
J’ai un instant d’hésitation, puis je demande bêtement :
— Et on les aura quand en main, ces atout-seins ?
Après, je ne me souviens plus d’autre chose qu’un voile noir…

Vincent Corlaix


À la Toussaint, il n’eut pas le temps de fleurir la tombe de ses défunts. Il fallait travailler, finir la compta, envoyer ces mails urgents qui traînaient depuis des semaines, ranger les papiers. Pourquoi irait-il perdre une journée si précieuse en commémoration et prières à une entité à laquelle il n’accordait aucun crédit ?
Peut-être, comme le lui rappela le squelette qui vint le terroriser durant la nuit, parce qu’il fallait toujours accorder son temps aux souvenirs des disparus.
« Le jour des morts, ne remue pas la terre, si tu ne veux sortir les ossements de tes pères. »

Anthony Boulanger


Au tribunal du Panthéon.
« Dans l’affaire « Dieu contre la Mort », faites entrer le plaignant, je vous prie.
— Veuillez décliner Votre identité.
— Dieu, Jéhovah, Yahvé, Allah, Le Seigneur.. .
— Bon, choisissez-en un.
— Votre Père.
— Très bien. Et qui Vous représente ?
— Moi-même. Vous savez bien que je n’aime pas trop qu’on me représente.
— Soit. Notre Père qui êtes à la barre, donnez-nous notre…heu…Votre version des faits.
— Ça fait maintenant plusieurs années que ça dure et… Non mais, regardez-la qui sourit ! Elle se moque de moi, en plus !
— Là, vous interprétez. Ce n’est pas parce qu’on voit ses dents que…
— De toute façon, ce n’est pas le problème. On avait convenu les choses ainsi : le 2 novembre, c’est la fête des Morts, et le 1er novembre, c’est la Toussaint. La Fête de tous les saints. C’était Ma fête !!!
— Votre Honneur, je voudrais intervenir pour insister qu’il ne me viendrait pas à l’idée de remettre en cause le calendrier…
— Oh. Ne fais pas l’hypocrite ! La plupart des gens vont au cimetière plutôt que de célébrer dans la joie et l’allégresse tous les saints…
— Je T’arrête. Ce n’est pas moi qui ai insisté pour que le 1er novembre soit férié. Ce n’est pas de ma faute s’ils en profitent pour honorer leurs trépassés. Quelle mauvaise foi !
— Moi, de mauvaise foi ? Personne n’avait jamais encore osé.

PATS !

— Silence ! Taisez-vous tous les deux. De toute façon, ce tribunal est incompétent pour juger cette affaire. Affaire suivante !
— Tu ne t’en tireras pas comme ça, la Mort !
— Notre Père, restez ici, je Vous prie. Le plaignant dans l’affaire suivante est Votre fils. Il Vous poursuit pour mauvais traitements.

Père Désoeuvré


Aéroport Charles de Gaulle, tour de contrôle
« Que se passe-t-il ? Pourquoi le trafic est-il bloqué ?
— Des… manifestants, madame.
— Quoi, ici ? Sur les pistes ?
— Pas exactement sur les pistes. Plutôt… au-dessus des pistes.
— Arrêtez de dire n’importe quoi, voyons ! Au-dess… Mais… Putain, qui sont ces emplumés ?! »
Par les baies vitrées, on aperçoit des centaines d’êtres lumineux en longues tenues blanches. Sur leurs banderoles, on lit : « Rendez-nous le 1er novembre ! ».
« Madame, ce n’est pas tout.
— Hein ?
— Je crois que… la contre-manif arrive. »
Depuis le sol s’élèvent des silhouettes de fumée sombre. Et sur leurs banderoles noires, se détachent en lettres blanches :
« 1er/11 = acquis social »

Sandrine Scardigli


— Hey, salut, Pierrot !
— Mich’ ! Jamais le dernier à faire la teuf à ce que je vois. Bienvenue, mec !
Les deux hommes se donnèrent l’accolade avec force grandes tapes dans le dos.
— Ça a déjà commencé ?
— À peine. Entre donc et amuse-toi bien.
Pierre se tourna vers la file d’attente qui s’allongeait jusqu’à l’autre bout de la grande place devant la basilique.
— Hé, salut, Gathoune !
— Pierrot !
La jeune femme à la poitrine bandée et le videur se firent la bise. Pierre évitait toujours de lui faire l’accolade pour ne pas la blesser davantage.
— Entre donc, y a plein de minuzzo qui te rappelleront tes défuntes miches.
Il se tourna vers la personne suivante.
— Heu… bonjour…
— Encore toi !
La voix de Pierre se fit soudain glaciale. Le petit bonhomme chauve et barbu qui lui faisait face dansa d’un pied sur l’autre.
— Heu… bah voui… Mon nom n’est toujours pas sur votre registre ?
— Attends la semaine des quatre jeudis, Glinglin et on en reparlera. Dégage, à présent.
Fête de tous les Saints. Ou presque.

Nelly Chadour

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