Un petit siège pour elle, un grand pas pour l’humanité
Sandrine Scardigli
— Je ne comprends pas… pourquoi les humains s’entredéchirent-ils ainsi ?
Le sergent Chouinpch était perplexe. Sur ordre du commandant Héklar et comme les autres sous-officiers, il venait d’assister à une conférence sur les conflits ayant opposé, au fil des siècles, les différentes peuplades humaines.
— Noirs, jaunes, blancs, rouges, verts… Ne sont-ils pas tous les mêmes, au fond ?
— Bien dit, commenta Héklar. Une bonne rafale laser, quelques années passées à se décomposer dans une petite boîte en sapin, et voyez comme ils se ressemblent tous ! Et pourtant…
— De notre côté, nous tuons les bactéries proximiennes, mais ce sont des animaux dangereux, pas des êtres rationnels, le coupa Chouinpch.
Le sergent repensa à son dernier combat contre des méga-bactéries proximiennes. Il avait bien cru y rester ! Depuis, quelques cicatrices supplémentaires ornaient l’un de ses tentacules. Les Vénusiennes qu’il fréquentait en étaient toutes folles.
Un mal pour un bien ! songea le sergent, secrètement ravi.
— Le comportement humain est un mystère, déclara Héklar. Sont-ils des êtres intelligents et sensibles ? Sans doute. Alors pourquoi ces accès répétés de violence à l’égard des plus faibles qu’eux, de leurs minorités, de ceux qu’ils jugent « différents » ? Un sage Vénusien a dit : « la violence est le refuge du doute et de l’incompétence ». Analysons l’exemple humain, ne faisons pas les mêmes erreurs. En vérité je vous le dis, mes frères Vénusiens : souvenez-vous de Rosa Parks et de ce que sa différence l’a conduit à subir !
— Amen, répondit l’assemblée, d’instinct.
Pascal Bléval
— Je ne comprends pas le nombre, pourquoi ce nombre, pourquoi 42 ?
L’homme devient hystérique. Il le voit partout, connaît toutes les multiplications d’entiers dans les différentes bases numériques, du binaire à l’héxadécimal, mais il ne comprend pas la symbolique de ce nombre ! Il refuse de croire à une blague potache d’un auteur déjanté. Il doit venir de quelque part.
Il est la réponse à la Grande Question, en effet, l’Univers, la Vie, tout le Reste. Doit-on tendre vers l’égalité absolue pour tous et la fin des discrimination ? 42, répond-on, 42 est le nombre.
Rosa Parks, 42 ans, refuse de laisser sa place dans un bus, le 1/12/1955.
Anthony Boulanger
— Ne fais pas la tête comme ça. Il leur fallait quelqu’un au-dessus de tout soupçon.
— Quoi, il faut être « plus blanc que blanc » ?
La femme fit la moue face à Claudette mais ne répondit pas.
— De toute façon, tu sais ce qu’il va se passer, continua Claudette tout en se massant le ventre. On va la transformer en petite vieille fatiguée, parce que les gens ont peur des femmes, surtout des femmes engagées. Quelle que soit la moralité de Rosa, ils vont quand même la rendre silencieuse parce que ça ne leur plaira pas.
— Tais-toi.
Claudette sourit, sans humour. Elle était peut-être jeune, enceinte et pas assez propre sur elle pour le Mouvement, mais elle savait déjà ce qu’il fallait comme sacrifice pour faire entendre la cause de tout un peuple.
2 mars 1955 : Claudette Colvin est arrêtée pour n’avoir pas voulu céder sa place dans un bus. Le NAACP veut la défendre jusqu’à ce que la jeune femme, mineure, tombe enceinte d’un homme marié. Le mouvement se tourne alors vers une figure plus respectable de la communauté noire, Rosa Parks. Celle-ci, militante des droits, sera elle-même transformée en petite vieille inoffensive par la mythologie populaire…
Célia Deiana
Elle regarda autour d’elle, inquiète, mais gardait sa sérénité malgré ces regards dardés sur elle. Elle observa les gens qui s’agitaient autour d’elle. Certains chuchotaient entre eux, d’autres criaient en levant les bras au ciel et puis il y avait cet homme qui lui hurlait dessus. Il était cramoisi de rage, mais elle pouvait encore le qualifier de blanc.
Elle était montée dans ce bus et s’était assise, et puis un homme était arrivé, à peine l’avait-il aperçue qu’il s’était dirigé vers elle et se mit à vociférer, lui intimant de moi laisser la place. Elle savait que ce moment arriverait. Elle était d’ailleurs montée dans ce bus avec un peu l’espoir de créer une telle réaction, si prévisible à Montgomery. Mais, à l’intérieur d’elle, elle souhaitait très fort se trouver ailleurs, un autre endroit, un autre temps. Alors elle soupira et ferma les yeux, décidée à ne pas bouger. Lorsqu’elle rouvrit les yeux, elle se retrouva dans cet endroit luxueux avec cet homme qui vociférait à l’instar de l’homme du bus. Malgré la langue inconnue, elle comprenait ce qu’il exigeait.
Mais peu importe le temps et le lieu, jamais plus un blanc ne l’obligerait à céder sa place.
1er décembre 1955 : Rosa Louise McCauley Parks refuse de laisser sa place à un passager blanc dans un bus.
1er décembre 1825 : Rosa Louise McCauley Parks refuse de laisser sa place sur le trône au tsar Nicolas Ier.
Père Désoeuvré
La p’tite dame monta dans le bus, par la porte de derrière. Et oui, même à 93 ans bien sonnés, elle avait conservé un certain instinct rebelle. Bon d’accord, c’était une grippe-sou hors catégorie, qui refusait de payer pour un ticket de bus.
Avisant deux d’jeuns à l’air complètement abruti, scotchés à leurs téléphones portables, elle se dirigea vers les places qu’ils occupaient et leur dit :
« Allez les jeunes, laisser le fossile s’asseoir. Vous pouvez rester debout, ça ne vous fera pas de mal ! »
Interloqués, choqués et mouchés, les deux jeunots se levèrent sans sourciller.
Une dame, assise à proximité, lui fit remarquer :
« Rho, vous y êtes allée fort. Le bus est vide, il n’y a que nous quatre et vous les faites lever.
— Parfaitement ! Rosa Parks nous a ouvert la voie ! Si on veut s’asseoir, on s’assoit. J’ai 93 ans, plus aucune dent, j’emmerde le monde et je m’assois où je veux ! »
1er décembre – Rosa Parks day
Gédéon