Le jeune prince Félix Ioussoupov tremblait encore de tous ses membres alors que la fumée des coups de feu qu’il avait tirés s’était depuis longtemps évaporée. À ses pieds, le cadavre massif du moine honni gisait, le visage défiguré par les coups qu’il avait encaissés sans broncher, avant d’être abattu de quatre balles. Autour de la scène, les autres convives complices de l’assassinat semblaient eux aussi perplexes.
— Il est mort, cette fois ? demanda le grand-duc Pavlovich.
— Qui sait ? lui répondit en riant nerveusement le député Pourichkevitch. Il a absorbé le poison comme s’il s’agissait d’un cordial, et il n’a pas bronché alors que nous étions trois à l’assommer. Qui peut savoir quel mal lui ont fait les plombs ?
— On le dirait mort, pourtant, dit dans un filet de voix le jeune prince qui pointait encore l’arme vers le corps.
— Je propose qu’on se débarrasse du cadavre. Que pensez-vous de la Nevka ? proposa le docteur Lazovert, prestataire du cyanure.
Trois mois plus tard, après la chute du tsar, le Nouveau Gouvernement révolutionnaire fit exhumer le cadavre du moine honni pour le faire brûler. À la lisière du bois devant lequel le bûcher avait été dressé, son impressionnante silhouette cachée derrière un arbre, Raspoutine regardait son dernier golem se consumer lentement. Il soupira et s’éloigna dans les sombres profondeurs du bois, convaincu qu’il était temps pour lui de disparaître du regard des hommes, pour longtemps.
29 décembre 1916 : assassinat de Raspoutine par le prince Félix Ioussoupov.