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mardi 19 mars 2024

25 septembre

25 septembre 1609 : Jacqueline Arnaud, toute jeune abbesse du couvent de Port-Royal, donne l’exemple aux religieuses de son établissement en appliquant strictement la clôture monastique et en refusant de recevoir ses parents. C’est la journée du Guichet.

— Mère Angélique, mère Angélique !
Toutes les sœurs dans le réfectoire ont entendu le carrosse pénétrer l’enceinte du couvent de Port-Royal. Une des tourières court par-devant l’abbesse, robes retroussées. Jacqueline Arnauld, devenue Mère Angélique depuis ses 18 ans, lève les yeux au ciel.
— Nous sommes dans un lieu de culte, sœur Madeleine. Les seuls cris qui doivent monter jusqu’au Ciel sont ceux de nos prières et de nos chants. Et par pitié, remettez vos jupes en place.
— Désolée, Mère, chuchote sœur Madeleine, mais vos parents viennent d’arriver. Comme vous nous avez confisqué les clés, nous ne pouvons pas leur ouvrir.
— Les familles n’ont plus à troubler la piété de ces lieux, déclare d’un ton sec la jeune abbesse. Ni les vôtres, ni la mienne !
Elle se lève avec dignité et se dirige d’un pas décidé vers le guichet de la porte. Ah, son père a voulu la placer là comme un pion pour mieux contrôler le couvent ? Il va comprendre de quoi on devient capable avec un peu de discipline et de ferveur.
La tête d’Antoine Arnauld s’encadre dans l’ouverture de la porte principale. Ses mains se crispent sur les barreaux du guichet.
— Ouvrez-moi immédiatement, Jacqueline !
— Hors de question ! Vous n’êtes plus mon seigneur désormais. Personne d’autre que moi ne donne des ordres ici. Veuillez m’appeler Mère Angélique, comme tout le monde.
Un bruissement parcourt la foule des sœurs qui ont suivi l’abbesse depuis le réfectoire. Arnauld insiste :
— Ne faites pas l’enfant. Nous avons à discuter. Laissez-moi entrer !
— Je sais bien de quoi vous voulez m’entretenir. De votre politique, comme toujours. On ne parle plus de politique maintenant, ce couvent est redevenu un lieu de culte.
Les barreaux se déforment sous la fureur d’Arnauld. Ses yeux scintillent dans la pénombre du soir. Il est temps de lui montrer qui commande. Angélique se concentre et projette toute sa volonté dans un geste de la main qui catapulte son père en contrebas du chemin. Un membre de l’escorte s’écrie :
— Au parricide ! Au monstre !
Des voix s’élèvent chez les sœurs pour secourir le noble. D’autres s’interposent pour protéger Mère Angélique. Celle-ci se sent faiblir. Elle ne maîtrise pas encore tout à fait ses pouvoirs, elle a mis trop de force dans son attaque. Puisant dans ses ressources, elle fait appel à toute son autorité pour faire taire les disputes :
— Choisissez votre camp ! Celles qui veulent peuvent sortir par la porte de derrière. Les autres obtiendront les mêmes pouvoirs que moi. Cependant, je ne souffrirai pas que nous mettions les forces de notre Seigneur au service des hommes de ce siècle.
De quel Seigneur parle-t-elle ? Certaines religieuses se signent. D’autres tombent à genoux, conquises. Le carrosse s’éloigne dans un fracas de roues et de vociférations.
Ange ou démon ? Sœur Angélique n’a pas encore décidé, mais elle a déjà une armée à son service…

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