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vendredi 29 mars 2024

3 février – Fête du lancer de haricots (Japon)

— Jack ! Jack ! C’est à toi !

Le jeune homme lève les yeux de son sac de haricots. D’un regard, il embrasse l’assemblée, un sourire victorieux aux lèvres. Après tout, il est le champion incontesté de la discipline dans son pays. Il ne voit pas pourquoi il se ferait battre ici.
Dans sa paume, il dépose deux haricots, souffle dessus et les lance le plus loin possible. La foule retient son souffle à mesure que les cosses s’envolent et parcourent une distance phénoménale. Ici, au pays du Soleil Levant, personne n’avait jamais vu ça.
Douze mètres quarante ! Le public est en liesse, Jack lève haut les mains, le présentateur hurle des commentaires incompréhensibles. Sur la piste, les haricots s’enfoncent légèrement dans le sol et commencent à pousser, à pousser encore et toujours jusqu’à toucher les nuages. Jack exulte. L’arbitre s’approche de lui.

— Disqualifié !

Bénédicte Coudière


Setsu Bun – un surnom qu’il devait aux craquements sinistres produits par le cartilage de ses jointures lorsqu’il marchait, tout particulièrement lors des changements de saison – patientait, caché derrière un épais buisson. Il espérait que passe bientôt le sacripant qui lui avait valu tant de mauvaises nuits, ces dernières semaines. Il s’attendait à tomber sur un garnement du voisinage et tenait entre ses doigts serrés deux poignées de haricots de soja.
Enfin, alors que les étoiles brillaient dans le ciel depuis près de trois heures, Setsu Bun entendit des bruits de pas sur les graviers du jardin. Aussitôt après, des cailloux crépitèrent sur les murs de la maison. Fou de rage, Setsu Bun jaillit de sa cachette et jeta ses haricots sur la silhouette de petite taille qui lui faisait face. Certains des grains ricochèrent sur les cornes que l’intrus portait sur la tête. Ce détail, ainsi que les yeux de l’individu et ses longs doigts griffus, emplirent d’effroi Setsu Bun. « Un Oni ! Il y a un démon chez moi ! » s’écria-t-il.
Un temps figé par la panique, il réalisa soudain que les haricots semblaient avoir blessé le démon, car celui-ci gémissait et se tordait de douleur. Setsu Bun piocha alors de nouvelles poignées de haricots dans ses poches et les lança sur le démon, en rafales. Très vite, le mauvais plaisant préféra s’enfuir loin de son tortionnaire et on ne le vit jamais reparaître sans les environs.
Aujourd’hui encore, cette victoire d’un homme sur un démon est célébrée à travers tout le Japon, le 3 février de chaque année.

Pascal Bléval


Sur le pas de sa porte, Anko regardait le démon qui l’observait en retour. La neige tombait doucement sur les épaules voûtées d’Oni Baba, créature des ténèbres. Anko leva la main et se décida enfin à lui lancer la poignée de haricots qu’elle avait tenue bien serrée durant tout le temps de leur face-à-face :

— Dehors les Démons, dedans le bonheur !

Oni Baba fit un bond pour éviter le jet de haricots et se faisant, il présenta son postérieur aux petits légumes secs et péta, péta de toute la force de son sphincter, faisant jaillir de son anus un souffle tel que les haricots s’envolèrent, furent emportés par le vent céleste et traversèrent le Pacifique, survolèrent les champs enneigés de l’Amérique et se jetèrent dans les pales d’un avion, bloquant le moteur. L’appareil s’écrasa dans un champ, tuant sur le coup ses quatre occupants.

3 février 1959, en voulant rejeter le malheur hors de son foyer, une japonaise, endeuilla l’Histoire du Rock en provoquant involontairement la mort de Buddy Holly, Ritchie Valens, Big Bopper et le pilote de leur avion.

Nelly Chadour


Toute la communauté asiatique de la colonie suivait le jeu retransmis par la TV japonaise. Le présentateur posa la dernière question pour le super jackpot.
« Quel était le prénom du grand ténor italien Caruso ? »
Paniquée, la candidate resta silencieuse un long moment et dans le doute, finit par bredouiller d’une voix toute penaude : « Arrico ? »
Grand mélomane, le présentateur devint rouge comme une tomate. Outré par ce manque de culture, il se dit qu’elle devait avoir un petit pois à la place du cerveau. Ses démons le rattrapèrent, il la prit et la jeta dans le public médusé. Elle se ratatouilla au sol. Un hématome gros comme une pastèque se forma sous son crâne. Son état s’aggrava rapidement. Verdict à l’hôpital : état végétatif. Il tomba dans les pommes. La fin des haricots pour lui.

3 février : fête du lancer de haricots. Errico était le véritable prénom d’Enrico Caruso, un des chanteurs d’opéra les plus appréciés encore aujourd’hui.

Ludovic Arfi


Parmi les premiers peuples extraterrestres rencontrés dans l’exploration de notre galaxie, les Harictos étaient sans doute ceux qui se rapprochaient le plus de la forme humaine, mise à part leur taille, particulièrement réduite, et la pilosité abondante qu’arboraient aussi bien les mâles que les femelles à la base du menton. Au Japon, notamment, ils furent victimes d’une coutume barbare importée d’Occident : on les prit comme substituts aux humains de petite taille, protégés par les diverses conventions proclamant les droits de l’Homme, pour organiser des compétitions de lancer de nains. Il s’agissait alors de les empoigner par la barbe, de les faire tourner à la manière d’une fronde, et de les envoyer le plus loin possible. Heureusement, l’adoption par l’OPU (Organisation des Planètes Unies) de la charte universelle des droits des espèces intelligentes mit un terme à ces spectacles odieux. Curieusement, on décida dès lors, le jour anniversaire de la charte, de les remplacer par des lancers de haricots…

Pierre Gévart


Le 3 février 2014, Kazuki, jeune Japonais de la région de Fukushima lança un haricot par la fenêtre de sa maison. La graine tomba directement dans un trou humide et germa aussitôt pour se muer en un tronc vert et feuillu titanesque dont le sommet se perdit dans les nuages. Beaucoup y virent là l’effet des radiations que la centrale nucléaire toute proche avait dû déverser, et nombreux furent les habitants à prendre la route pour quitter la région. Kazuki était du lot, mais non pas par peur de la radioactivité, mais à cause du cri de douleur bien humain qui était tombé des nuages quand la tige de haricot en avait crevé le plafond, et de l’œil géant qu’il avait aperçu entre les volutes.

Anthony Boulanger


— Bonjour, Monsieur le Président. Comment-vous sentez-vous aujourd’hui ?

— En pleine forme ! Quel est le programme aujourd’hui ?

— Il y a la cérémonie pour l’entrée en vigueur de notre statut de zone sans armes nucléaires, Monsieur le Président.

— Comment ai-je pu l’oublier ! Je ne suis pas mécontent de la manière dont nous avons berné les Russes et les Chinois sur ce coup. Ils n’ont consenti à l’indépendance de notre chère Mongolie qu’à cette condition. Ils croient qu’ainsi que nous ne représenterons aucune menace. Si seulement ils savaient que nous avons réussi à nous procurer le fameux sérum de Super Soldat.

— Et que vous avez eu l’idée de génie de le couper avec l’ADN de Gengis-Kahn, Monsieur le Président.

— Nous pourrons leur montrer que notre horde est bien plus efficace que leurs armées. Et sinon, il y a quoi à manger ce midi ?

— Des haricots.

— Ah non ! J’ai horreur de ça. Vous le savez bien, pourtant !

— Ben oui, mais ça tombe du ciel, aujourd’hui. Ce serait dommage de gâcher.

Le 3 février 2000, la Mongolie obtient le statut de zone sans armes nucléaires alors que le Japon s’amuse à jeter (très loin) des haricots.

Père Désœuvré


Chaque année, le 3 février, ils s’amusaient à lancer des haricots à tout-va, jusqu’à ce que ceux-ci se rebellent.

Vincent Bastin


— Kenji est parti fêter Setsubun avec son école ?

— Oui. Il y est allé en compagnie de son meilleur ami, Onisuke. Je leur ai donné les haricots grillés. Ils ne devraient pas tarder à rentrer maintenant.

Les deux femmes terminaient de siroter leur thé dans le washitsu. La conversation était partie sur d’autres sujets depuis quelques minutes lorsqu’elle fut brusquement interrompue par l’arrivée d’un petit garçon de huit ans, habillé d’un kimono de cérémonie. Celui-ci se précipita en sanglots dans les bras de sa mère. Elle le rassura en lui caressant les cheveux jusqu’au moment où il fut en mesure de s’expliquer :

— C’est Onisuke !… Il a… Il a disparu !

La mère jeta un œil à son amie.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? Raconte-moi.

L’enfant reprit son souffle en reniflant :

— On s’amusait, on rigolait bien. Et puis Onisuke m’a lancé des haricots, alors j’ai fait pareil. Alors il a crié, et

il y a eu un gros nuage noir et il était parti !…

Le dernier mot fut englouti dans de nouveaux sanglots humides.
La mère échangea un sourire avec son amie puis, se penchant à nouveau elle dit :

— Je t’avais pourtant prévenu, Kenji. Tu le sais que Onisuke est fragile. Il ne fallait pas lui jeter de haricots, même s’il t’en a lancé. Même pour jouer.

— Mais… mais…

— Je suis désolé, Kenji-chan. Tu vas devoir attendre sa prochaine réincarnation avant de revoir ton copain Onisuke.

Vincent Corlaix


Et voilà ce qui se passe quand les humains ne prennent plus les légendes au sérieux ! Lors de l’arrivée du printemps 2011, faute d’avoir été chassés efficacement lors du jour de Stesubun, les oni (démons) provoquèrent le cataclysme qui faillit mettre fin non seulement au Japon mais aussi aux haricots.

Sandrine Scardigli

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