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jeudi 25 avril 2024

1er avril – Festival international du livre mangeable

— Bon, tu choisis ?

— Ben, la carte est pas folichonne.

— Tu prendrais pas un Zemmour ?

— Tu rigoles ! La dernière fois, j’ai eu une diarrhée verbale pendant trois jours.

— Et un Finkielkraut ?

— Mais non ! Tu sais bien que ça me constipe.

— Pfff. T’es bien difficile. Prends un BHL alors !

— Bof, c’est comme un soufflé, c’est impressionnant mais c’est que de l’air. À la rigueur en dessert avec une belle couche de chantilly, c’est léger pour terminer le repas.

— Avez-vous fait votre choix ?

— Non, môssieur est difficile. Rien ne lui plaît.

— Je vois. Monsieur a des goûts originaux. Si je peux me permettre, nous avons un menu découverte qui pourra vous convenir.

— Voyons voir : assortiment d’Oleva, ChadourVillemin, Boulanger, Ligier, Coudière, Fuentealba, Arfi, Cleden, Bléval, Labruyère, Gévart, Scardigli, Père Désoeuvré, Silène, Roch, Le Cadre, Rey, Meyer, Bastin, Corlaix. Wow ! C’est beaucoup trop.

— Mais non, pensez-vous, c’est servi sous forme de microphémérides, ça se mange sans faim.

Père Désœuvré


— Je n’arrive pas à me décider, déclara Héklar en déchirant la dernière page du livre qu’il tenait entre les mains, puis en la dévorant à belles dents.

Il reposa ensuite la couverture vide à côté d’un saladier, dans lequel reposait une masse rose et spongieuse déjà bien entamée.
— Sur quel sujet ? demanda le sergent Chouinpch d’un air blasé.

Il en avait vu d’autres, avec cet étrange commandant Héklar. Sa dernière lubie ? Découvrir la culture humaine « en profondeur ».
— Sur mes préférences, répondit Héklar. Entre ce livre comestible – quelle merveilleuse invention, en vérité ! – et la cervelle de son auteur. Je les trouve pareillement savoureux, un vrai régal. Vous devriez essayer, sergent, vous ne le regretteriez pas.

— Je ne goûte guère la culture humaine, répondit Chouinpch.

— Et pourtant, vous vous en êtes déjà approprié l’humour. Un bon début, sergent Chouinpch, un bon début. Vous irez loin.
*
Le 1er avril de chaque année a lieu le festival international du livre mangeable. Quelle drôle d’idée. ^^

Pascal Bléval


Deux drames entachent l’image du festival international du livre comestible, grand succès de cette année. Le premier n’a fort heureusement concerné que peu de visiteurs, néanmoins il est légitime que les organisateurs se posent la question d’autoriser encore la présence de l’auteur concerné au festival. En effet, cinq visiteurs gourmands ont été évacués à l’hôpital le plus proche pour intoxication alimentaire ; ils ont eu l’audace de goûter le dernier titre de Guillaume Musso.

L’autre incident a été bien plus grave. C’est lors de la démonstration d’un prototype de projection de film comestible que le drame s’est déroulé. D’après un des sauveteurs étant intervenu sur les lieux du drame et interviewé par nos soins, quelques spectateurs trop enthousiastes n’auraient pas réussi à faire la différence entre réalité et fiction et auraient tenté de consommer leurs voisins.

On compte pour le moment 47 morsures, 7 oreilles mâchées, 12 doigts grignotés et 2 yeux léchés.

« Nous avons des ajustements techniques à faire, nous a déclaré le porte-parole de la société Foodin’Movies. Nous regrettons ce qui s’est passé, mais il ne faut pas oublier qu’il s’agit encore d’un prototype.»

Vincent Corlaix


Encore une petite touche. La pincée de sel qui va bien, les quelques grammes d’épice… Et voilà ! Le chef Aggripa, papivore elfique de son état, lève le nez de ses fourneaux avec un sourire triomphal. La recette est parfaite, le résultat sent divinement bon, il n’y a aucune raison pour que cela ne plaise pas.
D’un pas conquérant, le chef sort de la cuisine et fait face à ses invités. Ses commis, des lutins ayant quittés leur royaume du grand Nord, envahissent la table, portant sur leur tête des plateaux d’argent. Sur ces plateaux, une assiette contenant un ouvrage à la reliure scintillante.

– Mesdames, Messieurs, les critiques. Vous voici réunis ici pour découvrir ma toute nouvelle réalisation. Je vous laisse la surprise de ce mets enchanté. Bon appétit !

Les convives se regardent un instant, interrogatifs. Les assiettes se posent devant eux, sans qu’ils comprennent. L’une d’eux, critique culinaire de renom, ouvre délicatement le livre avec sa fourchette. Elle se met rapidement à lire, attrapant l’ouvrage à pleine main, bientôt imitée par les autres convives.
Dans sa cuisine, Aggripa observe par le hublot la dégustation. Il soupire de frustration lorsqu’il constate que personne ne mange.

– Ah, ces humains ! Incapable de comprendre l’art de la table, gronde-t-il avant de se détourner.

Bénédicte Coudière


En ce jour du 1er avril 2037, toute vie ou presque cessa sur la Terre. Nous étions pourtant parés contre l’attaque des Piscikos : canons laser pointés vers l’armada extra-terrestre, navettes surarmées prêtes à décoller, troupes au sol sur les dents… Puis nos écrans satellites diffusèrent des images des vaisseaux ennemis. Et ce fut le drame, la débandade généralisée, l’incrédulité paralysante. Nous étions le 1er avril et les appareils Piscikos ressemblaient à de gros poissons bariolés. Les militaires ont crié au canular, la population est sortie des abris pour mieux rire de l’aspect des cruels envahisseurs, ce qui permit à ces derniers de nous exterminer. Ils ignoraient nos coutumes. Le hasard avait juste mal fait les choses.

Nelly Chadour


Pas toujours le bonheur d’être critique gastronomique dans les colonies spatiales de Procyon. Il prit son courage à deux fourchettes et entra dans le restaurant français. Au menu du jour, en entrée, une salade de Musso – en poisson, du Nothomb à l’huile – en viande, du civet de Lévy – et en dessert, un mille-feuille de Moix… En lisant tout ça, la carte lui tomba des mains. Mais le devoir était le devoir. Il en était convaincu, il aurait des mots de ventre en sortant et une sévère chiasse lexicale le lendemain matin. Puis il relativisa : l’important au fond, c’était d’avoir du papier, beaucoup de papier.

Ludovic Arfi


Il avait arrêté les plats turcoïdes aux viandes d’origines douteuses et aux légumes OGM übermutants à cause d’une très mauvaise expérience culinaire. Rien à voir avec la semoule – même revanienne, me direz-vous sûrement –, mais il avait failli mourir étranglé en dévorant Les Éthiopiques d’Héliodore d’Émèse – et on ne parle donc pas là non plus d’attiéké –, un « y » assez costaud pour avoir survécu à la bataille des Thermopyles et aux guerres puniques s’étant coincé dans sa gorge.

Jacques Fuentealba


« Hummm… Quelle auteure délicieuse ! », s’exclama l’unique convive assis à la grande table.

Au cours des semaines précédentes, il avait dévoré les livres d’une jeune écrivaine ; puis, poussé par sa gourmandise, il avait décidé de l’inviter pour déjeuner.

Son repas terminé, Hannibal Lecter se leva de table et alla se préparer un digestif.

Sandrine Scardigli

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